jeudi 1 septembre 2016

2 pages dans l'Huma !

L'Humanité - 1er septembre 2016



Brigadistes !, ils se levèrent avant le jour

Vingt nouvelles narrent l’épopée des volontaires internationaux engagés, il y a quatre-vingts ans, pour défendre la République espagnole par clairvoyance du danger fasciste menaçant le monde. La fiction et le réel s’épousent en un salutaire hommage à ces combattants de la liberté.

Le polonais Mundek est aux avant-postes. Ce juif communiste participe aux Spartakiades – les Olympiades populaires –, à Barcelone, lorsque le 18 juillet 1936 des généraux félons – emmenés par Franco, Sanjurjo, Queipo de Llano, Mola se ­soulèvent pour faire mordre la poussière à la jeune République espagnole. Il n’est plus question d’exploit sportif, mais de défendre la démocratie. Il prend les armes ; il n’a que trop conscience du danger fasciste qui menace alors l’Europe. Dans cette même région catalane, le repris de justice marseillais Marius est chargé de dessouder un milliardaire sur demande de son ami et figure de l’anarchisme espagnol, Durruti. La Française Cécile et l’Anglais Tom sont tombés amoureux, dès le premier regard, dans ce train 77 qui les menaient sur l’un des féroces fronts de guerre. Joe, le leader emblématique du groupe punk The Clash, s’est pris de passion pour leur romance épistolaire.

« La fiction a toujours été un vecteur extraordinaire pour appréhender le passé »

De l’amour, il en est aussi question sous la plume fiévreuse de l’espagnole Maria, internée au camp de Saint-Cyprien, après avoir franchi la frontière des Pyrénées dans cet exil douloureux que fut la Retirada. Son époux Giuseppe est détenu à Gurs. Lui, l’Italien antifasciste qui a poursuivi son combat contre la bête immonde dans un pays qu’il ne connaissait pas et pour lequel il était prêt à mourir. Il y a aussi l’anarcho José, au caractère bien trempé et anti-stalinien jusqu’au bout des ongles. Il s’est livré corps et âme tout comme le poète Pablo, le Cubain Rojo Rojito, un rouge de chez rouge, qui a traversé l’Atlantique pour se battre aux côtés de ses frères espagnols. Il ne reverra jamais la patrie de Marti.

Les vingt nouvelles de Brigadistes ! sont un enchevêtrement d’histoires réelles et imaginées qui nous transportent dans l’incroyable épopée des Brigades internationales donton célèbre cette année le 80e anniversaire. Le profil et le parcours des auteurs – écrivains, chanteurs et interprètes, dessinateurs – coiffent d’un regard singulier cet incroyable élan de solidarité internationale trop méconnu des nouvelles générations. « La carte blanche donnée à l’écriture de ces noires nouvelles a été la suivante : univers violent de la guerre d’Espagne, regard tragique et pessimiste, aspect politique, complexité, mais aussi solidarité internationale, histoires d’amour, collectivisme, vie artistique… », prévient l’éditeur. Le résultat est bluffant. Les récits sont inspirés, affectueux, sérieux, parfois drôles ou agaçants, la libre interprétation politique de ses auteurs sur cet épisode très politique pouvant heurter un public au fait de la chose. « La fiction a toujours été un vecteur extraordinaire pour appréhender le passé, et la complexité de la guerre d’Espagne permet un large éventail d’approche pour des auteurs. Chacun construit sa mémoire de ces espoirs magnifiques achevés en défaite amère, quitte à engendrer parfois des distorsions avec la réalité historique », écrit dans la préface Claire Rol-Tanguy, secrétaire générale des Amis des combattants en Espagne républicaine. Ces nouvelles participent du nécessaire travail de mémoire et de reconnaissance à l’endroit de ces hommes et de ces femmes qui « se levèrent avant le jour », selon l’image du colonel Henri Rol-Tangy brigadiste, chef de la Résistance et libérateur de Paris. Ces près de 35 000 femmes et hommes, dont près de 10 000 Français (et Algériens), altruistes sans frontières, ont, dès le mois de juillet 1936 pour certains, écrit l’une des plus belles pages de la solidarité internationale.

« Oui, la République espagnole nous apparut belle, une et indivisible »

Février 1936. Le Front populaire remporte les élections en Espagne. La coalition gouvernementale, soutenue par les anarchistes, qui regroupe des socialistes, des communistes et des radicaux, bouscule l’ordre existant : réformes agraires et de l’armée, augmentation salariale, laïcisation de l’éducation et de la société, reconnaissances régionales… Le programme progressiste du « Frente » heurte la bourgeoisie réactionnaire espagnole et les intérêts économiques des grandes nations. On retrouve sur les terres d’Espagne les mêmes antagonismes sociaux, politiques et économiques qui s’affrontent ailleurs. Le soulèvement militaire du 18 juillet 1936 est béni par l’Allemagne et l’Italie qui arment les factieux. Le 15 août 1936, le gouvernement français du Front populaire, dirigé par le socialiste Léon Blum, fait le choix de la « non-intervention ». « Une trahison », aux yeux des survivants des Brigades internationales qui l’ont maudite jusqu’à la fin de leurs jours.

À Paris, en septembre 1936, le Vélodrome d’Hiver vibre sous le verbe de la Pasionaria qui demande « des canons et des armes pour l’Espagne ». Conscients que défendre l’Espagne, c’est défendre le monde de l’épouvante en gestation, des ­volontaires s’engagent. Ainsi naissent les Brigades internationales. « Ah, si vous aviez vécu notre arrivée à Barcelone ! (…) Les communistes, les anarchistes et le Poum, main dans la main, scellaient l’union des défenseurs de la liberté. Oui, la République espagnole nous apparut belle, une et indivisible. (…) J’ai découvert bien plus qu’un pays, j’ai appris la fraternité », s’enthousiasme, dans l’un des récits, un volontaire qui, bien des années plus tard, pleinement conscient des tragédies personnelles et collectives vécues par ses frères, préférera conserver le souvenir de son premier soir dans la capitale catalane. Devoir quitter l’Espagne fut un déchirement, soulignent des auteurs. Une autre trahison. Des volontaires furent parqués dans des camps d’internement en France ; d’autres ont été déportés en Allemagne. Nombre d’entre eux ont joué un rôle de premier plan dans la Résistance et la libération de Paris. Les Américains ont été maccarthysés ; d’autres encore ont subi dans leur chair le stalinisme. L’oubli a trop prévalu. Celui-là même qui garrotte encore l’Espagne.

Brigadistes ! refait claquer le drapeau de la République espagnole, orné de rouge, de jaune, et de violet, estampillé de l’étoile rouge à trois branches, symbole de ces volontaires internationaux, visionnaires de raison au grand cœur. Les écritures et les coups de crayon font ressurgir des sentiments à fleur de peau. Il y a de la tendresse et des emportements. De la sensibilité et de l’intelligence. Tour à tour, on est pris dans le tourbillon de la mélancolie, saisi d’amour, étreint par l’amertume, porté par la grandeur d’idées qui ne meurent jamais. L’ouvrage est finalement un écho au « Merci, compañeros » du poète Luis Cernuda qui salua le courage et la modernité des valeurs de ces si beaux combattants de la liberté et de la paix.

Brigadistes ! de Patrick Amand, Patrick Bard, Cali, Pierre D’Ovidio, Didier Daeninckx, Gilles Del Pappas, Pierre Domenges, Michel Embareck, Patrick Fort, Pascal Gabay, Frank Giroud, Maurice Gouiran, Tomas Jimenez, Fabien Lacaf, Bruno Loth, Roger Martin, Ricardo Montserrat, Jean Ortiz, Philippe Pivion, Serge Utge-Royo, aux Éditions Caïman en partenariat avec les Amis des combattants en Espagne républicaine, Collection « Noires Nouvelles », 400 pages, 15 euros.

Brigadistes ! à la fête de l’Humanité Patrick Amand et Maurice Gouiran, les auteurs , seront le vendredi 9 septembre à 19 heures à la halle Léo-Ferré en compagnie de Claire Rol-Tanguy, secrétaire générale des Amis des combattants en Espagne républicaine (Acer). Le groupe Los Republicanos, revisitera des classiques de la guerre d’Espagne. Ils se produiront aussi le samedi à 12 heures au stand de l’Acer, où l’on pourra voir l’exposition « Levés avant le jour », sur l’épopée des volontaires internationaux jusqu’à leur participation à la Résistance, en partenariat avec l’Office national des anciens combattants.

Cathy Ceïbe
Journaliste à la rubrique Monde


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