Brigadistes !, ils se levèrent avant le jour
Vingt nouvelles narrent l’épopée des volontaires
internationaux engagés, il y a quatre-vingts ans, pour défendre la République
espagnole par clairvoyance du danger fasciste menaçant le monde. La fiction et
le réel s’épousent en un salutaire hommage à ces combattants de la liberté.
Le polonais Mundek est aux avant-postes. Ce juif communiste
participe aux Spartakiades – les Olympiades populaires –, à Barcelone, lorsque
le 18 juillet 1936 des généraux félons – emmenés par Franco, Sanjurjo, Queipo
de Llano, Mola se soulèvent pour faire mordre la poussière à la jeune
République espagnole. Il n’est plus question d’exploit sportif, mais de
défendre la démocratie. Il prend les armes ; il n’a que trop conscience du
danger fasciste qui menace alors l’Europe. Dans cette même région catalane, le
repris de justice marseillais Marius est chargé de dessouder un milliardaire
sur demande de son ami et figure de l’anarchisme espagnol, Durruti. La
Française Cécile et l’Anglais Tom sont tombés amoureux, dès le premier regard, dans
ce train 77 qui les menaient sur l’un des féroces fronts de guerre. Joe, le
leader emblématique du groupe punk The Clash, s’est pris de passion pour leur
romance épistolaire.
« La fiction a toujours été un vecteur extraordinaire pour
appréhender le passé »
De l’amour, il en est aussi question sous la plume fiévreuse
de l’espagnole Maria, internée au camp de Saint-Cyprien, après avoir franchi la
frontière des Pyrénées dans cet exil douloureux que fut la Retirada. Son époux
Giuseppe est détenu à Gurs. Lui, l’Italien antifasciste qui a poursuivi son
combat contre la bête immonde dans un pays qu’il ne connaissait pas et pour
lequel il était prêt à mourir. Il y a aussi l’anarcho José, au caractère bien
trempé et anti-stalinien jusqu’au bout des ongles. Il s’est livré corps et âme
tout comme le poète Pablo, le Cubain Rojo Rojito, un rouge de chez rouge, qui a
traversé l’Atlantique pour se battre aux côtés de ses frères espagnols. Il ne
reverra jamais la patrie de Marti.
Les vingt nouvelles de Brigadistes ! sont un enchevêtrement
d’histoires réelles et imaginées qui nous transportent dans l’incroyable épopée
des Brigades internationales donton célèbre cette année le 80e anniversaire. Le
profil et le parcours des auteurs – écrivains, chanteurs et interprètes, dessinateurs
– coiffent d’un regard singulier cet incroyable élan de solidarité
internationale trop méconnu des nouvelles générations. « La carte blanche
donnée à l’écriture de ces noires nouvelles a été la suivante : univers violent
de la guerre d’Espagne, regard tragique et pessimiste, aspect politique,
complexité, mais aussi solidarité internationale, histoires d’amour,
collectivisme, vie artistique… », prévient l’éditeur. Le résultat est bluffant.
Les récits sont inspirés, affectueux, sérieux, parfois drôles ou agaçants, la
libre interprétation politique de ses auteurs sur cet épisode très politique
pouvant heurter un public au fait de la chose. « La fiction a toujours été un
vecteur extraordinaire pour appréhender le passé, et la complexité de la guerre
d’Espagne permet un large éventail d’approche pour des auteurs. Chacun
construit sa mémoire de ces espoirs magnifiques achevés en défaite amère,
quitte à engendrer parfois des distorsions avec la réalité historique », écrit
dans la préface Claire Rol-Tanguy, secrétaire générale des Amis des combattants
en Espagne républicaine. Ces nouvelles participent du nécessaire travail de
mémoire et de reconnaissance à l’endroit de ces hommes et de ces femmes qui «
se levèrent avant le jour », selon l’image du colonel Henri Rol-Tangy
brigadiste, chef de la Résistance et libérateur de Paris. Ces près de 35 000
femmes et hommes, dont près de 10 000 Français (et Algériens), altruistes sans
frontières, ont, dès le mois de juillet 1936 pour certains, écrit l’une des
plus belles pages de la solidarité internationale.
« Oui, la République espagnole nous apparut belle, une et
indivisible »
Février 1936. Le Front populaire remporte les élections en
Espagne. La coalition gouvernementale, soutenue par les anarchistes, qui
regroupe des socialistes, des communistes et des radicaux, bouscule l’ordre
existant : réformes agraires et de l’armée, augmentation salariale, laïcisation
de l’éducation et de la société, reconnaissances régionales… Le programme
progressiste du « Frente » heurte la bourgeoisie réactionnaire espagnole et les
intérêts économiques des grandes nations. On retrouve sur les terres d’Espagne
les mêmes antagonismes sociaux, politiques et économiques qui s’affrontent
ailleurs. Le soulèvement militaire du 18 juillet 1936 est béni par l’Allemagne
et l’Italie qui arment les factieux. Le 15 août 1936, le gouvernement français
du Front populaire, dirigé par le socialiste Léon Blum, fait le choix de la «
non-intervention ». « Une trahison », aux yeux des survivants des Brigades
internationales qui l’ont maudite jusqu’à la fin de leurs jours.
À Paris, en septembre 1936, le Vélodrome d’Hiver vibre sous
le verbe de la Pasionaria qui demande « des canons et des armes pour l’Espagne
». Conscients que défendre l’Espagne, c’est défendre le monde de l’épouvante en
gestation, des volontaires s’engagent. Ainsi naissent les Brigades
internationales. « Ah, si vous aviez vécu notre arrivée à Barcelone ! (…) Les
communistes, les anarchistes et le Poum, main dans la main, scellaient l’union
des défenseurs de la liberté. Oui, la République espagnole nous apparut belle,
une et indivisible. (…) J’ai découvert bien plus qu’un pays, j’ai appris la
fraternité », s’enthousiasme, dans l’un des récits, un volontaire qui, bien des
années plus tard, pleinement conscient des tragédies personnelles et
collectives vécues par ses frères, préférera conserver le souvenir de son
premier soir dans la capitale catalane. Devoir quitter l’Espagne fut un
déchirement, soulignent des auteurs. Une autre trahison. Des volontaires furent
parqués dans des camps d’internement en France ; d’autres ont été déportés en
Allemagne. Nombre d’entre eux ont joué un rôle de premier plan dans la
Résistance et la libération de Paris. Les Américains ont été maccarthysés ;
d’autres encore ont subi dans leur chair le stalinisme. L’oubli a trop prévalu.
Celui-là même qui garrotte encore l’Espagne.
Brigadistes ! refait claquer le drapeau de la République
espagnole, orné de rouge, de jaune, et de violet, estampillé de l’étoile rouge
à trois branches, symbole de ces volontaires internationaux, visionnaires de
raison au grand cœur. Les écritures et les coups de crayon font ressurgir des
sentiments à fleur de peau. Il y a de la tendresse et des emportements. De la
sensibilité et de l’intelligence. Tour à tour, on est pris dans le tourbillon
de la mélancolie, saisi d’amour, étreint par l’amertume, porté par la grandeur
d’idées qui ne meurent jamais. L’ouvrage est finalement un écho au « Merci,
compañeros » du poète Luis Cernuda qui salua le courage et la modernité des
valeurs de ces si beaux combattants de la liberté et de la paix.
Brigadistes ! de Patrick Amand, Patrick Bard, Cali, Pierre
D’Ovidio, Didier Daeninckx, Gilles Del Pappas, Pierre Domenges, Michel
Embareck, Patrick Fort, Pascal Gabay, Frank Giroud, Maurice Gouiran, Tomas
Jimenez, Fabien Lacaf, Bruno Loth, Roger Martin, Ricardo Montserrat, Jean Ortiz,
Philippe Pivion, Serge Utge-Royo, aux Éditions Caïman en partenariat avec les
Amis des combattants en Espagne républicaine, Collection « Noires Nouvelles »,
400 pages, 15 euros.
Brigadistes ! à la fête de l’Humanité Patrick Amand et
Maurice Gouiran, les auteurs , seront le vendredi 9 septembre à 19 heures à la
halle Léo-Ferré en compagnie de Claire Rol-Tanguy, secrétaire générale des Amis
des combattants en Espagne républicaine (Acer). Le groupe Los Republicanos,
revisitera des classiques de la guerre d’Espagne. Ils se produiront aussi le
samedi à 12 heures au stand de l’Acer, où l’on pourra voir l’exposition « Levés
avant le jour », sur l’épopée des volontaires internationaux jusqu’à leur
participation à la Résistance, en partenariat avec l’Office national des
anciens combattants.
Cathy Ceïbe
Journaliste à la rubrique Monde
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